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Procès des barricades : décembre 1960 – janvier 1961, témoignage du colonel (er) Louis SANSON

Histoire et Mémoire

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21/04/2025

DEUX CHEFS


Procès des barricades : décembre 1960 – janvier 1961

 

Audition des deux officiers supérieurs de gendarmerie suite à une intervention de rétablissement de l’ordre au centre d’Alger le 24 janvier 1960, la plus meurtrière dans l’histoire de la gendarmerie mobile (14 morts et 123 blessés dont un grand nombre par armes à feu). Auteur du livre j’ai été grièvement atteint lors de cette opération. 

« En cette fin du mois décembre, tous les militaires de la gendarmerie sont intéressés, et moi tout particulièrement, par le déroulement du « procès des barricades » qui rentre dans sa troisième semaine de débats. C’est maintenant que vont être entendus les officiers de gendarmerie cités comme témoins à charge. Les plus importants sont le général Camille Morin qui au moment des événements commandait la 10e Région de gendarmerie et surtout le colonel Debrosse, commandant les unités de gendarmerie mobile, 14 escadrons engagés au centre d’Alger le 24 janvier dernier. 

Jeudi 29 décembre, le premier, le général Morin grand officier de la Légion d’honneur, né à Aboukir en Algérie, expose les rouages d’emploi de la gendarmerie départementale et de la gendarmerie mobile. Concernant cette dernière, il estime sans ambages au cours de sa déposition qu’il y a eu un mauvais coup prémédité. II explique : « J’ai reçu le 18 janvier la visite du capitaine Guyot, qui est venu de Blida me dire que l’on préparait un coup de force pour le 24 janvier et qu’il était sûr de ses sources. Je me suis rendu à la Délégation générale où j’ai obtenu un rendez-vous avec monsieur Delouvrier. Le lendemain matin, devant moi, le capitaine confirmait ses dires au Délégué général, en précisant que les milieux Algérie Française voulaient rééditer le même coup que le 13 mai 58 et que les meneurs n’étaient autres que le député Lagaillarde, Susini, Martel. Tout ceci est confirmé par un tract en notre possession disant : tous au Forum le 24 à 10 heures, il y aura distribution d’armes. » 

Le général Morin rapporte aussi le fait suivant dont il est formel : « Les gendarmes mobiles, le 24 au soir, se sont trouvés en état de légitime défense collective et pouvaient faire usage de leurs armes. Déjà certains d’entre eux étaient tombés. Et dès lors, ils pouvaient légitimement tirer eux-mêmes. Le lendemain, j’ai fait faire un inventaire des cartouches tirées par le service d’ordre. II y en avait cent deux donc suffisamment pour briser la porte de la grande poste où ils voulaient se réfugier, ce qui est peu pour la légitime défense quand on dispose de quarante-cinq fusils mitrailleurs. En somme, quatorze escadrons sont descendus l’arme à la bretelle. Et ce n’est qu’en bas qu’ils ont pris leurs armes à la main, non approvisionnées de munitions, pour dégager la place. » 

Lui succède à la barre le colonel Debrosse (promu depuis peu à ce grade). Lieutenant-  colonel à l’époque, commandait l’ensemble des 14 escadrons engagés. Ses déclarations en tant que témoin principal de la fusillade du 24 janvier sont capitales et écoutées avec la plus grande attention par les membres du tribunal d’exception. En revanche, les défenseurs des accusés, Lagaillarde, Susini, Ortiz, colonel Gardes (chef du service d’action psychologique des armées) et une douzaine de sans-grade cherchent en vain à le déstabiliser. Cet officier — « d’un seul bloc » — en a vu et en verra d’autres. 

Dans son éditorial paru dans le Monde du 31 décembre, Jean-Marie Théolleyre écrit : « La déposition du colonel Debrosse n’est pas terminée, puisqu’il devra revenir mardi (3 janvier 1961) après la trêve du jour de l’an, pour subir de nouveaux assauts de la défense qui jusqu’à présent s’est usé les griffes pour de piètres résultats. Pourtant l’essentiel paraît avoir été dit. Le colonel Debrosse a été formel et accablant en apportant sur la tragique demi-heure du 24 janvier des précisions que ses adversaires n’ont pas contestées tant au sujet de l’armement des gendarmes que sur la présence d’un fusil mitrailleur en action au balcon du PC d’Ortiz. Car cette déposition se ramène à une affirmation simple : ce n’est pas la gendarmerie qui a ouvert le feu, elle a été prise sous celui des émeutiers avant d’avoir pu se déployer. Elle s’est trouvée ainsi en état de légitime défense collective et les sommations n’avaient plus de raison d’être. Ainsi la défense dont l’arme principale était cette absence de sommations s’est heurtée dans toutes ses offensives à ce raisonnement contre lequel elle ne pouvait rien. Pour la première fois surtout elle trouvait devant elle un témoin qui n’était pas son allié. Elle le savait. Mais elle avait tellement laissé entendre depuis des semaines qu’elle gardait en réserve contre lui des bottes secrètes et imparables, que chacun attendit le choc avec une curiosité ardente. À dire vrai, on s’aperçut très vite que le colonel appartenait à cette race de témoins dont les avocats disent qu’il faut surtout se garder de leur poser des questions. La défense avait d’ailleurs une excellente raison pour se conformer à cette règle d’or. Aucun des accusés jugés contradictoirement n’est poursuivi pour cette affaire de fusillade. Juridiquement, ils ne sont pas concernés par les faits. Cela a été dit. Cependant il est incontestable que cette fusillade commande le procès, car sans la manifestation il n’y aurait pas eu de fusillade et sans celle-ci, il n’y aurait pas de procès. Depuis le premier jour des débats, les juges militaires ont montré par leurs questions l’importance qu’ils attachaient à ce drame, leur désir d’en connaître tous les détails, leur désir surtout de pouvoir établir à qui en incombait la responsabilité. Aussi ont-ils écouté intensément le colonel Debrosse, qui par son comportement, son allure générale, sa sobriété et sa tranquillité leur apportait toute garantie. La défense qui avait ironisé ostensiblement pendant une déposition comme celle du commissaire Aublet s’est bien gardée de le faire en écoutant parler le colonel Debrosse. Il ne pouvait pas lui échapper que si ses clients n’étaient pas les auteurs de ces tirs d’armes automatiques déclenchés contre les gendarmes, ils n’en risquaient pas moins d’apparaître aux yeux de leurs juges comme chargés d’une responsabilité morale qu’il convenait de faire oublier. Pour cela il fallait tenter de démontrer que les gendarmes avaient été l’instrument d’une provocation et que sans leur intervention les manifestants auraient été des archanges. Mais c’est oublier une autre déposition, celle du général Morin, qui se trouvait à la tête de la 10e région de gendarmerie et qui avait déclaré (entre autres) qu’on retrouva chez les insurgés après leur reddition soixante-quinze mille cartouches, cinq cent trente grenades et quantité de pains d’explosifs. Imaginerait-on dans un procès d’assises l’avocat d’un perceur de coffre-fort équipé de tout son matériel plaider que tout se serait bien passé si la police n’était pas intervenue ? Si l’on comprend bien, c’est ce qui se plaide au procès des barricades. 

 Je me permets de reproduire intégralement cet article résumant à lui seul un procès qui aura duré de nombreuses semaines. Les dépositions du colonel Debrosse faites dans les premiers jours de janvier ne font qu’enfoncer un peu plus le mur que veulent dresser défenseurs et accusés pour masquer la vérité. En effet, le même journaliste écrira aussi dans le Monde du mardi 3 et du mercredi 4 janvier : «  Pendant cinq heures, le colonel Debrosse a subi les assauts concertés de la défense. Elle avait mis à profit la trêve du jour de l’an pour préparer une offensive en règle contre un témoin dont elle avait pu mesurer jeudi dernier qu’il était un adversaire à sa mesure. Ce furent des dialogues serrés, parfois tendus. Jusque-là tout paraissait favorable à des avocats qui finissaient par croire que tout leur souriait dans un débat qu’ils menaient à leur guise. Le colonel Debrosse a donc tenu tête, ne reniant rien de ce qu’il avait déclaré l’autre jour. À toutes les questions, il a répondu sans équivoque, à vrai dire, la défense ne se faisait guère d’illusion. Au colonel Debrosse ont succédé mercredi huit officiers, chefs d’escadrons ou capitaines qui ont fait à leur tour devant les juges militaires le récit de ce qu’ils ont vu et entendu, chacun dans son secteur, le 24 janvier, à l’heure où les manifestants transformèrent le centre d’Alger en stand de tir aux gendarmes. Ce furent encore huit dépositions accablantes par l’accumulation des détails rapportés systématiquement, ostensiblement, la défense s’est abstenue de toute question. 

 Le général Morin, le colonel Debrosse surtout, et les autres officiers de gendarmerie qui viennent de témoigner à ce procès si particulier, n’attachent pas une importance spéciale à une condamnation ou non des inculpés. Ceci n’est pas de leur ressort. Au travers de leurs dépositions, ils veulent que la vérité soit reconnue et que l’honneur de la gendarmerie comme la mémoire des officiers et des sous-officiers morts, blessés ou non, soient préservés ». 

J’ai tenté au cours de ma longue carrière dans notre Arme, puis étant un retraité actif, de sensibiliser mes supérieurs, mes subalternes, mes camarades, de bien vouloir s’intéresser à cette journée du 24 janvier 1960, mais aussi au déroulement de ce  « procès des barricades », d’avoir au minimum une pensée même fugace pour tous les militaires de la gendarmerie mobile engagés dans cette opération de rétablissement de l’ordre, mais souvent… en vain !


Dans ce document se trouvent des extraits de mon livre « PLAISAMMENT EN PAIX ET SÛREMENT EN GUERRE. Journal d’un lieutenant de gendarmerie. Algérie (septembre 1957-août 1961) *

*Auteur : colonel de gendarmerie (er) Louis SANSON. Officier de la Légion d’Honneur, Croix de la Valeur Militaire (3 citations), Médaille de la Gendarmerie nationale (1 citation).Grièvement blessé par balle au cours de cette opération de maintien de l’ordre. 


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