Outre-mer : Guyane - Au cœur de la mission Harpie
Pour un gendarme mobile les séjours en outre-mer marquent les esprits :
Lorsque qu’un appel à volontaire a été demandé au sein de la promotion connétable Bertrand du Guesclin pour partager une histoire et son expérience en outre-mer, je n’ai pas hésité très longtemps. Qu’on se le dise : Les territoires d’outre-mer sont un trésor aux multiples facettes, des richesses naturelles, culturelles et humaines. Malgré les paysages époustouflants, les plages paradisiaques et les forêts luxuriantes, il existe un autre décor que le métier de gendarme nous permet d’apprivoiser. Difficultés économiques et sociales, pauvreté, immigration illégale, violence et problèmes environnementaux.
Pour un gendarme mobile, les séjours en outre-mer marquent les esprits. Très attendu, ce déplacement loin de ses proches et de sa famille renforce souvent la cohésion d’une unité.
Il n’est pas question à travers ces quelques lignes de vous expliquer ce que représente un déplacement en outre-mer mais en toute humilité, je l’espère, vous narrer celui qui m’a le plus marqué.
Issu du recrutement semi-direct, j’ai rejoint l’EOGN en 2022. Gendarme mobile depuis 2015, j’ai eu l’opportunité de séjourner dans plusieurs territoires d’outre-mer. L’île de la Réunion, Mayotte, la Polynésie française, Saint Martin et la Martinique. Cependant, un séjour m’a marqué professionnellement. Il s’agît de la Guyane en 2018.
Une adaptation rapide dans des conditions climatiques particulières :
Mercredi 17 octobre 2018, c’est le départ pour un séjour de plusieurs mois au cœur de la forêt guyanaise. Nous sommes une dizaine de militaires de l’escadron 18/5 d’Aurillac, pour la majorité issus du peloton d’intervention à prendre la direction de Camopi pour participer à la mission Harpie. Mise en œuvre en 2008, la mission Harpie vise à lutter contre l’orpaillage illégal qui sévit dans la forêt guyanaise. Les forces armées et la gendarmerie mettent en commun leurs moyens pour freiner et endiguer le fléau que représente l’orpaillage illégal.
24 heures après être arrivé sur le territoire guyanais et avoir confectionné nos sacs, il est déjà l’heure de rejoindre le stage “forêt”. Ce stage est un passage obligatoire pour tous les gendarmes engagés au profit de la mission Harpie. Nous concernant, nous suivons le stage avec des instructeurs de l’AGIGN de Guyane, spécialisés et habitués aux missions en forêt.
Ici, on apprend la confection du hamac, à nager dans le fleuve tout équipé ou encore à mettre à feu en sécurité les pots thermiques utilisés pour détruire du matériel des orpailleurs illégaux. Les conditions climatiques sont particulières en Guyane. Le taux d’humidité est important avec des températures élevées ce qui rend les efforts plus difficiles à supporter. Plusieurs jours sont nécessaires pour permettre au corps de s’adapter. Je comprends rapidement que la forêt peut être hostile et qu’un engagement pour une mission de plusieurs jours peut s’avérer éprouvant.
Après 3 jours de formation et de perfectionnement, nous rejoignons Cayenne pour poursuivre différents stages : Conduite de quad et pilotage d’une pirogue afin d’être autonome lors de certaines missions.
Situé au sud-est de la Guyane, le village est accessible uniquement par voie aérienne militaire (VAM) ou en pirogue
Nous y sommes, une dizaine de jours après être arrivés en Guyane, nous partons en VAM à bord d’un CN 235, autrement dit le Casa en direction de Camopi.
Après moins de 45 minutes de vol et face à l’immensité de la forêt guyanaise, il est temps de prendre ses marques et de s’installer au cantonnement après avoir été accueilli par deux camarades précurseurs. Logés en dur, le confort est plus que correct. Le cantonnement bénéficie d’une connexion internet, de machines à laver, de sanitaires.
Camopi, considéré comme premier village amérindien se situe le long de l’Oyapock, fleuve délimitant la frontière entre la France et le Brésil. Situé au sud-est de la Guyane, le village est accessible uniquement par VAM ou en pirogue (compter plusieurs heures).
Territoire aurifère, la région de Camopi suscite l’intérêt des garimpeiros (les orpailleurs illégaux venus du Brésil). Face au village, de l’autre côté de l’Oyapock, se trouve Vila Brasil, village brésilien essentiellement destiné à alimenter les différents sites d’orpaillages. De l’autre côté du fleuve, en France, se trouve le camp Méric de la légion étrangère avec qui nous allons travailler les semaines suivantes.
“Halte gendarmerie, halte gendarmerie…”
En attendant que des missions forêts nous soient proposées, notre chef de détachement nous organise de courtes missions sur la journée, et principalement en soirée. Des missions de type embuscade sont régulièrement exécutées, avec pour objectif d’intercepter des garimpeiros qui remonteraient le fleuve en pirogue en vue d’approvisionner les sites d’orpaillage. Ou à l’inverse, d’interdire tout passage de pirogues pouvant transporter de l’or issu de sites illégaux. Ces missions très intéressantes demandent une discrétion absolue. En effet, nous apprenons l’existence de “sonnettes” à proximité de notre cantonnement dont le but est de renseigner tout départ de notre part en direction des sites d’orpaillages. Concrètement, ces éléments, préviennent d’autres garimpeiros côté brésilien, qui se chargent à l’aide d’une BLU (bande latérale unique), qui sont des radios utilisées pour les longues distances, de prévenir les sites d’orpaillage. Cela est un frein considérable dans la mission, la surprise étant un facteur clé de réussite.
Un soir, à l’aide de 5 camarades et d’un piroguier amérindien (réserviste de la gendarmerie), nous remontons l’Oyapok afin de tendre une embuscade à d’éventuelles pirogues adverses. J’ai toujours été surpris par la connaissance des piroguiers amérindiens du fleuve et de l’environnement. La moindre erreur sur le fleuve peut être fatale pour tout le groupe. Des gilets à flottabilité limitent le risque de noyade en cas de chute dans l’eau. Ce qui pour l’histoire, a sauvé la vie à un de nos camarades lors d’une liaison après qu’une pirogue se soit retournée…
Alors que nous remontons le fleuve à une allure rapide, nous apercevons face à nous, à une dizaine de mètres, une pirogue qui se dirige dans la même direction que la nôtre. Non décelés, nous comprenons rapidement qu’il s’agit de garimpeiros avec du matériel.
Porteur du FAP (Fusil à Pompe), et situé devant la pirogue, je passe en code rouge.
Après les sommations “Halte gendarmerie, halte gendarmerie”, nous voilà engagés dans une poursuite qui se termine rapidement. Les individus font le choix de se diriger vers la rive et tentent en quelques secondes de couler leur pirogue à l’aide du moteur.
Sautant dans leur embarcation, puis sur terre, je prends appui face à la forêt en direction de leur fuite. Je sens leur présence à proximité tout en restant vigilant car le risque qu’ils soient armés est probable. Mes camarades réussissent à sortir la pirogue et le matériel du fleuve avant qu’elle ne coule. Nous quittons rapidement les lieux.
Après avoir regagné notre cantonnement, nous faisons état de notre “prise” du soir :
Des bidons d’essence, de la nourriture, du matériel de bricolage et de réparations qui ont pour valeur quelques milliers d’euros.
La mission forêt, entre fatigue et prise de conscience.
Alors que les missions se font peu nombreuses en raison de différents facteurs (niveau bas du fleuve, hélicoptère en panne, faible effectif des FAG (forces armées en Guyane) en raison de la période des fêtes de fin d’année), j’ai l’opportunité de réaliser une mission forêt durant plusieurs jours. Initialement prévue en hélicoptère après une dépose sur site, la panne de celui-ci nous amène à progresser par le fleuve de l’Oyapok puis à marcher 2 jours. Avec un camarade, nous accompagnons des légionnaires à l’effectif d’un peloton.
Notre mission en tant que directeur d'enquête est d'accompagner les légionnaires dans la détection des infractions liées à l'exploitation illégale de l'or, l'arrestation des garimpeiros, et la saisie de leurs biens. Nous identifions également les petits chemins et les sites actifs ou inactifs, en enregistrant leur emplacement à l'aide d'un GPS. Grâce à une marche éprouvante et rapide, nous atteignons la zone d'habitation sans être décelés par l'adversaire. Divisés en deux groupes, nous progressons et lançons un assaut pour arrêter un maximum d'orpailleurs. La présence de chiens et d’armes rend la manœuvre risquée. Nous parvenons à stopper la fuite de plusieurs individus. La tenue et les bijoux que porte l’un d’entre eux nous intriguent. Il s'agit sans doute du patron du site qui n'a pas réussi à s'enfuir. Non loin de là, nous prenons le contrôle d'un site d'extraction d'or en activité où les moteurs utilisés pour l'extraction de la boue sont encore chauds. Un sentiment de satisfaction naît, ainsi que l'impression d'être observés. Les garimpeiros se cachent à proximité, mais il est difficile de distinguer une forme quelconque dans cette densité de vert. Le chant de l’oiseau sentinelle, typique de la Guyane vient compléter le bruit du vent qui précède bien souvent l’arrivée de la pluie. Nous restons vigilants et à l'aide de pots thermiques, nous détruisons les moteurs (d'une valeur de plusieurs milliers d'euros) et les tables de lévitation utilisées pour l'extraction de l'or. Nous observons la présence de mercure dans l'eau et la dévastation de l'environnement. Les arbres et la végétation sont détruits pour quelques grammes ou kilos d'or, et un sentiment d'impuissance nous envahit. Cette mission Harpie est-elle un effort vain ?
Après avoir infiltré le camp des garimpeiros, nous passons la nuit au camp de vie. Auparavant, nous informions le CORG de nos actions par téléphone satellite. La présence d'un probable chef de site, de deux femmes (prostituées et cuisinières) et de quelques garimpeiros confirme que la zone est bien active. Alors que nous dormons, nous sommes brusquement réveillés en pleine nuit par la chute d'un arbre à quelques mètres de notre bivouac ! Le lendemain matin, nous repartons dans la direction opposée. Nous constatons que les moteurs que nous avons détruits la veille ont été récupérés par les garimpeiros pendant la nuit avec l'intention de les réparer. Nous ramenons avec nous le matériel confisqué (une BLU, une trentaine de grammes d'or, des fusils de chasse, et divers autres objets) ainsi que les garimpeiros, après leur avoir signifié une OQTF (obligation de quitter les territoires français). Je comprends leur présence dans la forêt. L'argent gagné grâce à l'exploitation illégale est ramené au Brésil pour subvenir aux besoins de leur famille. A part quelques bandits et patrons de chantier, la pauvreté résume leur quotidien. Notre compassion nous pousse à leur donner les quelques rations qui nous restent avant de les inviter à retourner au Brésil. Leur poignée de main et leur gratitude pour notre geste nous rappellent le sens de notre métier qui n’est pas si simple.
Un retour en métropole après 110 jours de déplacement.
Ce séjour dans la forêt guyanaise m'a marqué pour plusieurs raisons. Malgré une bonne condition physique, les conditions climatiques difficiles et l'austérité de la forêt peuvent vite devenir éprouvantes. L'humilité est un élément crucial, car la forêt t'apprend à te connaître et à affronter la difficulté en repoussant tes limites. La réalité de la déforestation et les conséquences de l'exploitation illégale de l'or ne sont que trop réelles. Faire et vivre la mission Harpie m'a sensibilisé directement aux questions environnementales. L'exploitation minière illégale entraîne également d'autres formes de délinquance et de problèmes tels que le vol, l'immigration clandestine, la violence et la pauvreté. Ce qui se passe à des milliers de kilomètres de la métropole est très inquiétant, et malgré la frustration, le sentiment d'avoir participé et lutté contre ce fléau prédomine. J'attends avec impatience la prochaine aventure outre-mer.
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