Chères et chers camarades sociétaires,
A l'occasion de vos différentes liaisons au siège du TREFLE, peut-être ignorez-vous que vous pénétrez dans la plus ancienne caserne de la Garde républicaine? En effet, évoquer la rue de Tournon et la caserne qui porte son nom, c'est remonter le cours de l'histoire de Paris et de la France.
La rue de Tournon, anciennement ruelle saint Sulpice, puis ruelle du Champ de foire, fut ouverte vers 1540 sur l'emplacement d'un marché aux chevaux dit "le pré crotté". Elle devint plus tard la rue de Tournon du nom du cardinal François de Tournon, l'un des principaux conseillers de François 1er, successivement archevêque d'Embrun, d'Auch, de Bourges et de Lyon et ambassadeur du Roi en Italie, en Espagne et en Angleterre ; il avait été abbé de saint Germain des Prés dont dépendaient encore les terres dont il est question. Il mourut en 1562.
Un arrêté des consuls du 17 vendémiaire an XI avait ordonné le prolongement de la rue de Tournon jusqu'à la rue de Buci et un décret du 3 nivôse, signé Chaptal, en avait fixé la moindre largeur à 13,50 mètres et la plus grande à 26,70 mètres: ce sont approximativement ses dimensions actuelles.
L'immeuble situé au numéro 10 et qui abrite aujourd'hui la Garde Républicaine présente à l'extérieur une façade à deux étages percée de sept fenêtres de part et d'autre de l'entrée principale, décorée elle-même de quatre colonnes doriques qui supportent un entablement.
L'intérieur offre une grande cour formée par les ailes et le corps principal de logis construits dans la même ordonnance. De la première cour on passe dans une seconde où s'élève un bâtiment plus récent et donnant dans la rue Garancière.
Cette caserne offre une grande cour formée par les ailes et le corps principal des logis. Elle ne dépare point la belle rue de Tournon, vestige des splendeurs du passé, et tient dignement sa place au milieu des édifices de cinq à six étages qui la flanquent ou lui font face.
Sur son emplacement et provenant d'un démembrement de l'hôtel Garancière, s'élevait un hôtel construit en 1539 et habité en 1543 par Louis de l'Estoile, président des enquêtes au parlement de Paris et époux de marguerite de Montholon. Pierre de l'Estoile, le célèbre moraliste, y naquit sans doute en 1546. Lui succédèrent madame de Picquigny en 1580 et Charles du Plessis-Liancourt, gouverneur de Paris de 1607 à 0617, en 1595. Ce dernier le vendit à Concini, fils d'un notaire de Florence et connu pour avoir épousé la fille de la nourrice de Marie de Médicis dont il devint le favori. "Premier ministre sans connaître les lois du royaume et maréchal sans avoir jamais tiré l'épée", a dit de lui Voltaire. Concini, devenu maréchal d'Ancre, y entassa ses trésors. le 1er septembre 1616, l'hôtel fut pillé par les partisans du prince de Condé. Il était alors plus vaste qu'aujourd'hui puisque les écuries avaient une sortie sur la rue de Vaugirard; c'est par là que s'enfuirent les domestiques. Concini estimait à deux cent mille écus la perte qu'il subit de ce saccage.
Ce n'était là que le prélude à des évènements plus tragiques. Concini, tombé en disgrâce auprès de Louis XIII, fut sacrifié à l'ambitieux Albert de Luynes le 24 avril 1617 sur le pont donnant au Louvre. Il fut appréhendé par le capitaine des gardes Vitry ; comme il faisait mine de résister, on lui cassa la tête à coups de pistolet. Le lendemain, l'église de saint Germain l'Auxerrois où il avait été déposé fut envahie par des forcenés qui traînèrent son cadavre par les rues et vinrent le brûler devant l'hôtel de la rue de Tournon qui fut à nouveau livrée au pillage.
On crut longtemps que ces pillages n'avaient pas été complets et que l'immeuble contenait encore des trésors cachés sous ses fondations. Germain Brice raconte qu'un grand seigneur de la Cour, prévenu de cette chimère, y pratiqua des fouilles. Les trésors résistèrent à toutes les recherches et n'apparurent même pas quand l'hôtel fut l'objet d'une entière reconstruction.
Le roi reçut la meilleure part des dépouilles de Concini. A son retour de Savoie, il habita même son hôtel un certain temps pour se rapprocher de sa mère qui occupait alors le Luxembourg, puis il le concéda au duc de Luynes avec d'autres biens du favori si vite remplacé. Mais le 27 août 1621, celui-ci le rétrocédait au roi pour 185625 livres. Saint François de Sales y logea en 1618.
Après avoir subi les réparations nécessaires, l'hôtel fut alors destiné, à partir de 1630, au logement des ambassadeurs extraordinaires qu'il était d'usage de traiter pendant trois jours aux frais du roi après leur entrée. Chaque arrivée était signalée par un jour de gala mettant en jeu tous les ressorts d'une étiquette pleine de magnificence, et "par toute la ville, il y avait spectacle". Grande surtout fut, sous Louis XIV, la solennité des entrées du duc de Schrewsbury, ambassadeur de la reine de Grande-Bretagne, des ambassadeurs de Czar de Moscovie et du roi de Siam. Le service des cérémonies amenait le représentant du monarque étranger à l'hôtel des ambassadeurs où il était complimenté par le premier gentilhomme de la chambre du roi, puis, le jour suivant, le présentait au souverain. Mehemed-Effendi, ambassadeur de la Porte, occupa l'hôtel un certain temps sous la Régence.
Cet hôtel conserva son affectation jusqu'en 1748, mais avec quelques interruptions passagères. C'est ainsi que le duc de Damville, comte de Brion, fait duc et pair de France en 1648, en eut la jouissance jusqu'en 1661. il mourut sans enfant et l'hôtel reprit sa destination première. Mais le 8 février 1748, le roi Louis XV, par un échange régulièrement enregistré, acquiert du compte de Maurepas et du marquis de Ponchartrain leur hôtel de famille sis rue Neuve des petits Champs et leur cède l'immeuble de la rue de Tournon. Cinq ans plus tard, un acte notarié du 21 avril 1753 fait attribution à l'épouse du duc de Nivernais de l'ancien hôtel des Ambassadeurs qui prend alors le nom de Nivernais.
Dernier rejeton de la maison Mancini, Louis Jules Mancini Mazarini, duc de Nivernais, diplomate et homme de lettres, entra en 1787 dans le ministère Necker. Il refusa d'émigrer en 1791 et fut néanmoins incarcéré. Son hôtel, séquestré, devint bien national. Il en avait d'ailleurs entrepris la restauration dès 1783. Restauré et décoré par Peyre l'aîné, les meilleurs artistes de l'époque y collaborèrent ; Gilles Pein, Cauvet d'Aix, architectes de Maisieu, comte de Provence, furent chargés de la sculpture d'ornement ; Hubert Robert et Julie Parme se voient confier les plafonds et les peintures. Le duc de Nivernais, devenu le citoyen Mancini, revient paisiblement mourir en 1798 dans l'annexe de l'hôtel principal. L'hôtel devient contencieux des Domaines de 1802 à 1811 et archevêché en 1812. En 1814, il sert d'habitation à la douairière d'Orléans, épouse de Philippe Egalité. Le 20 août 1819, l'immeuble est vendu par le domaine d'Etat à la ville de Paris pour la somme de 250 100 francs. Il est alors transformé en caserne, agrandi en 1823 et destiné en 1830 à la Garde Républicaine, affectation conservée jusqu'à aujourd'hui. C'est au cours de ces transformations successives que la décoration intérieure est sacrifiée, de même que se modifie sans cesse l'aspect extérieur des bâtiments.
Ainsi, la rue de Tournon a abrité nombre de gens célèbres : Lamartine et Ledru-Rollin au numéro 4, Charles Cros au 5, Alphonse Daudet et Gambetta au 7, Clément Marot au 27. Elle séduit tout autant des personnalités contemporaines puisque Gérard Philippe habitait au 17 et que Jacques Chirac s'est éteint au numéro 4. Mais c'est dans les sous-sols de la caserne Tournon que l'on peut mettre ses pas dans l'histoire puisqu'un souterrain entièrement réhabilité par l'armée allemande en 1940 conduit directement jusqu'au palais du Luxembourg.
Enfin, et en guise de conclusion, par lettre du 26 juin 1926, le secrétaire général de la questure du Sénat demandait à la commission du vieux Paris de statuer sur l'opportunité d'apposer sur les murs de la caserne Tournon une plaque destinée à attirer l'attention des passants. Aucune suite n'a été donnée à cette proposition. Une initiative à réitérer?
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